Dans une société comme celle sénégalaise où le mystique est fortement imprégné dans les pratiques, un tour chez le guérisseur est des habitudes les plus communes chez bon nombre. Visions ou prévisions, les révélations qui découlent de ces consultations peuvent susciter un fou… rire.
Par DS
Chaque jour, les médias diffusent à longueur de journées des annonces sur des guérisseurs qui résolvent tout type de problème. Par désespoir ou par curiosité, nombreux sont les hommes et femmes qui vont les voir pour trouver solution à leurs soucis de santé, de finances, bref pour régler un problème ordinaire ou extraordinaire.
Dans une maison quelconque du quartier de Grand Yoff, habite un guérisseur. Connu pour ses pouvoirs magiques, il passe de recommandation en recommandation. Il doit alors y avoir matière à regarder pour une curieuse. Dans le couloir de l’appartement qui lui sert de lieu de consultation, les chaises installées ne suffisent même pas pour accueillir les nombreux clients venus de différents horizons pour le voir.
Chez les guérisseurs la popularité est souvent un indicateur de la qualité du service. A cela s’ajoute les commentaires des uns et des autres sur le bien qu’ils ont ressenti après leur première consultation pour justifier leur retour. De quoi conforter les nouveaux venus. On s’acquitte de la somme de 1000F demandée pour obtenir un ticket et ainsi être sur la liste d’attente.
Dans une des chambres qui composent l’appartement situé au premier étage, s’échappent des bruits bizarres. Des cris d’une voix rauque par intermittence comme pour menacer quelqu’un ou quelque chose. « Qui est-ce ? », demande une jeune dame qui semble être la seule surprise par ce bruit. « C’est le guérisseur qui parle à un de ses patients », lui répond-on.
La dizaine de patients, en majorité des femmes, a l’air habituée des lieux et des procédés du guérisseur. Sur chacun des visages se lit un problème dont l’espoir de solution est placé en l’homme qui consulte dans la chambre.
Chance ou malchance pour cette curieuse en quête d’expérience ? En tout cas, lorsque « le vieux » sort de sa chambre de consultation, habillé avec élégance de son caftan demi saison jaune assorti d’un bonnet noir, leurs yeux se croisent. D’un regard perçant, il se dirige vers elle, sert son menton d’un poing ferme. « Avec qui est tu venue », demande-t-il, la fixant des yeux. D’un ton calme, voire innocent, elle répond, en désignant une autre dame, un peu plus âgée : « Avec celle-là. » « Quel est votre lien de parenté ? », poursuit-il avec la même fermeté, regard détourné vers l’accompagnante. « C’est mon amie » dit-elle. « Toi-même tu n’es pas humain et tu prétends avoir des connexions humaines », affirme-t-il avant de lui intimer l’ordre de le suivre dans le salon.
« Son procédé ne m’était pas totalement inconnu, car celle qui m’y a conduit m’avait fait un retour de ses consultations : Il t’asperge d’un liquide qui te met dans un état second et fait parler le djinn qui est en toi », m’avait-elle raconté. Mais en vivant l’expérience, j’ai quand même été surprise de la brutalité de son ton, teinté de sérieux, mais qui au fond me donnait envie de rire. »
« L’idée pour le guérisseur était de faire parler le djinn qui me possède avant de le faire sortir de mon corps. Il m’intime l’ordre de me coucher à même le sol dans le salon rempli de « spectateurs », en majorité des femmes. Ils doivent être témoin de l’emprise de l’homme de l’art sur le djinn qui m’habite et entendre mes aveux. » Alors le spectacle peut commencer.
Avec une bouteille d’eau, il arrose le visage de la « possédée », lui fait boire de l’eau supposée bénie de force, lui en verse dans les deux oreilles, tout en lui posant des questions. « L’exercice vous éprouve, vous fait mal, vous fait peur et naturellement vous faire dire ce que lui veut entendre » explique notre interlocutrice qui poursuit : « A ces multitudes de questions, j’ai répondu tantôt par l’affirmatif, tantôt menti pour qu’il lâche prise. Car le monsieur n’accepte pas les réponses négatives. Soi-disant qu’il parle au djinn qui vous possède, Il vous fait admettre des crimes, vous attribue des origines égyptiennes et même des connexions franc-maçonniques. Pourtant, je n’étais pas autre, je suis restée moi-même, lucide et consciente. »
Ce show est suivi avec attention par les patients attendant leur tour. Certains épiaient la jeune dame d’un regard accusateur, inquisiteur ou même interrogateur. En même temps, une autre patiente se faisait aussi exorciser. Elle est possédée par un djinn qui selon le guérisseur se présente sous forme de serpent. Elle criait, faisait des révélations à force qu’on lui verser l’eau qui ne finissait pas. Tantôt il leur demande d’accomplir la danse du djinn qui les possède. Et si les unes tournent sur elles-mêmes, les autres rampent, se tordent ; on dirait un serpent. « C’est bien un serpent qui la possède » selon le guérisseur.
Pendant qu’elle réglait à l’autre son compte, « je réalisais le cinéma qui était en train de se jouer avec moi comme actrice. Qui l’eut cru, moi, otage d’un guérisseur qui veut faire croire au monde qu’il est maitre dans son art. Même si l’idée m’est venue de vouloir mettre fin à cette comédie, je me suis abstenue de le faire ».
Alors au bout d’un quart d’heure de questions-réponses, de coups souvent très douloureux, de démonstration de force mystique, « je suis sortie de ses griffes exorcisée ». « Il est sorti » ? « Oui » répond la jeune dame. Content et souriant, le guérisseur lui a serré le poing et elle a prié pour lui. C’était quand même comique.