L’univers mortuaire a toujours été un mystère que peu de mortels osent découvrir. Toute une chaine allant de son constat à l’enterrement l’entoure. Un de ses piliers demeure la purification des défunts dont la profession ne court pas les rues. Souvent transmis de génération en génération, le métier de laveuse de mort nécessite tout un rituel avant la dernière étape de l’humain sur terre. Bref détour autour d’une profession accusant un important gap, fémininb en particulier.
Par AFB
Rien en elle ne renseigne sur son activité professionnelle, ni son physique, encore moins son accoutrement. Le seul petit indice, si besoin est, son bureau : une petite chambre contiguë à la morgue du Centre national hospitalier universitaire de Fann (Cnhu).
Contrairement aux autres membres du personnel hospitalier vêtus de blouses blanches, roses ou même vertes, elle est toujours en blouse noire. Probablement en référence à la symbolique assignée à cette couleur qui renvoie à la tristesse, au deuil, auxquels renvoie la mort. Mme Fatou Kiné Ndoye, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, effectue le toilettage mortuaire audit Centre hospitalier. Elle est d’ailleurs la seule habilitée.
Élancée, de forte corpulence, le teint noir, la cinquantenaire est trouvée dans son « bureau » qui est sobrement aménagé avec ses deux (2) lits et une armoire où est rangé le matériel de toilettage nécessaire. Un poste de téléviseur allumé permet de s’évader de cette atmosphère funèbre. Assise sur le lit, elle observe, le regard pointé vers la cour qui accueille, en cette matinée, des hommes et des femmes venus récupérer la dépouille d’un parent. Sur le panier posé à ses pieds, un tissu blanc va servir de linceul dans quelques heures. Mme Ndoye le découpe minutieusement pour préparer la prochaine opération de lavage.
De mère à fille
Son quotidien se résume à laver des morts, une activité qu’elle pratique depuis 22 ans. Tout commence avec sa grand-mère maternelle employée par l’Hôpital Fann pour faire le toilettage mortuaire. « À sa mort, ma mère a pris la relève et c’est à ses côtés que j’ai appris le métier ».
Son initiation s’est faite pendant dix longues années aux côtés de sa défunte maman. À ses débuts, elle lui servait d’assistante et cette dernière lui confiait les petites tâches telles les courses ou la préparation du linceul devant servir à recouvrir le mort ou plutôt la morte. Dans la religion musulmane, seules les femmes peuvent faire la toilette funéraire à la gent féminine, à l’exception des deux époux.
Habitant à Pikine Guinaw-Rail, en banlieue dakaroise, cette mère de famille commence sa journée à 6h du matin tous les jours, week-ends et jours fériés. « Les gens meurent tous les jours. Il faut bien que je sois là pour faire mon travail mais aussi mon devoir de musulman envers son prochain. Mon rôle consiste à enlever toutes les impuretés du corps de la défunte qui retourne vers son Seigneur. Et pour un rituel aussi important, elle doit être propre, d’où l’importance de la grande purification en Islam ou « Janabah », explique-t-elle.
Laver un mort reste une énigme pour beaucoup. C’est un métier difficile du fait de la délicatesse et de la sensibilité du travail. Et ceux qui se chargent de le faire sont perçus comme des personnes dotées d’une certaine connaissance mystique. Nous n’obtiendrons aucune confirmation ou infirmation. Toutefois, Mme Ndoye reste persuadée que ce n’est pas fait pour tout le monde.
« Il faut avoir du courage, beaucoup de courage pour faire ce travail. Oser laver un mort sans le connaître, ni connaître ses parents ou sa famille, très peu de gens en sont capables. Et c’est là toute la complexité de la chose. En plus du courage, il y a la connaissance du rituel qui est très important avant de s’y lancer », souligne-t-elle.
Démentant les cas anecdotiques de morts revenant à la vie, elle dit ne l’avoir jamais vécue. « Ceux qui disent avoir reçu un coup d’un mort ou avoir vu un mort bouger ou se relever, ils racontent des histoires. Un mort ne peut pas bouger. Depuis que je pratique ce métier, jamais je n’ai été confrontée à un cas similaire. »
D’ailleurs, Mme Ndoye n’exclut pas d’initier sa fille aînée au métier. Une façon de perpétuer la tradition familiale depuis deux générations. Elle tient son travail à cœur avec foi et abnégation malgré les difficultés d’une profession, chasse-gardée des hommes et la précarité. Recrutée par l’Hôpital depuis dix ans, elle se rend aussi dans des mosquées pour arrondir ses fins de mois.
interpellée sur la faiblesse du nombre de femmes dans les pratiques de toilettage funéraire, Mme Ndoye estime que cela découle de leur non-implication. Raison pour laquelle, elle salue la mise en place de la formation qui leur est dédiée suivant le rite musulman.