La dépression n’est qu’une maladie. Et, pourtant sa prise en charge souffre de plusieurs insuffisances au Sénégal.
Par AD
Tristesse, pessimisme, manque de concentration, trouble du sommeil ou du désir sexuel, la dépression est une véritable maladie psychique. Ses causes sont plurielles et peuvent remonter jusqu’à l’enfance. Pour le professeur Mamadou Habib Thiam, chef du service Psychiatrie du Centre national hospitalier universitaire de Fann (Chnu), « il peut s’agir de relations perturbées avec les parents, d’un traumatisme sexuel, des expériences difficiles comme le décès d’un être cher, la perte d’un emploi, une séparation, un conflit familial ou professionnel.»
La dépression peut aussi résulter d’une maladie chronique, d’un handicap, de la dépendance à des substances. S’y ajoute une vulnérabilité génétique. « Une personne dont l’un des parents a fait une dépression a deux à quatre fois plus de risque d’être dépressive au cours de sa vie », explique Pr Thiam. Une vulnérabilité qui s’exprime le plus souvent en présence d’un vécu difficile (abandon, violences, abus sexuel) ou d’un environnement défavorable.
Au Sénégal, près d’une personne sur dix, âgées de 18 à 75 ans, a connu un épisode dépressif. Davantage de femmes, âgées de 35 à 44 ans, sont concernées ainsi que des jeunes entre 12 et 18 ans. Et, le pays ne compte qu’une trentaine de psychiatres en activité. « Le ratio est de 1 psychiatre pour 400 000 habitants ; c’est catastrophique. C’est largement en deçà des normes de l’Organisation mondiale de la santé qui établissent au moins 1 psychiatre pour 10 000 habitants », se désole le directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement psychopathologie de l’université Cheikh Anta Diop, en l’occurrence le professeur Mamadou Habib Thiam. Et, sur les 45 psychiatres en formation, seuls 22 sont de nationalité sénégalaise.
Outre le déficit de ressources humaines, le manque de structures adaptées fait défaut. Il n’y a que le Chnu de Fann (qui date de 1957 avec 60 lits), le Pavillon France de l’Hôpital Principal, le Grand hôpital psychiatrique de Thiaroye (avec 120 lits), le centre des frères Saint Jean de Dieu (avec une centaine de lits) à Thiès, le centre Dalal Xel de Fatick et le centre psychiatrique Emile Badiane de Ziguinchor. Tous les six mois, 6 médecins assurent la rotation pour prendre soin des patients.
La pénurie de médicaments est une autre réalité connue dans ces établissements de santé psychiatriques. « On n’a plus les médicaments injectables. C’est un préjudice pour nos patients et pour nous également », regrette Pr Thiam. Et quand le produit est disponible, il est tellement cher que les familles n’ont pas toujours les moyens de s’en procurer et suivre le traitement, surtout dans les cas de maladie chronique.
La santé mentale n’est une priorité pour l’État. L’accent est davantage porté sur « les maladies qui tuent. Quand la maladie tue, c’est grave, il faut vite faire pour que personne ne meure et on met des milliards. Alors que la mortalité est aussi importante que la morbidité », souligne le professeur Thiam, qui plaide pour l’octroi de bourses de formation en psychiatrie et de services dédiés dans les hôpitaux régionaux.