Illusoire sera pour le Sénégal l’atteinte de ses objectifs en matière de planification familiale. Les voies détournées empruntées, en particulier, par les femmes continuent à retarder l’objectif d’un taux de prévalence contraceptive de 45 % en 2020. Les nombreux obstacles structurel, traditionnel et religieux les poussent à suivre les chemins dangereux de la clandestinité.
Par AD
Pour beaucoup de femmes, l’accès aux services de planification familiale s’avère un chemin de croix. Quelque 21% des Sénégalaises de 15 à 49 ans vivant en union ont des besoins non satisfaits en planification familiale. Le conjoint s’y oppose le plus souvent. En 2020, le taux de prévalence contraceptive demeure faible avec environ 28 %, selon plusieurs données compilées.
Un détour dans les structures médicales ! À la maternité de Grand Yoff, Mme Aïssatou Diouf vient pour ses visites postnatales. Près de 45 jours d’attente seront nécessaires pour sa mise sous contraception. En effet, une longue période due en partie au manque d’effectif. Les données de l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie relèvent que le nombre de sages-femmes est passé de 1441 en 2017 à 1414 en 2018. Les normes de l’OMS requièrent une sage-femme pour 300 femmes en âge de procréer et un infirmer pour 300 habitants. Des indicateurs encore loin des normes.
Aussi, en plus de cette résilience temporaire, devra-t-elle user d’une bonne dose de séduction à la maison : convaincre son mari de la portée de la planification familiale. Selon la Maîtresse sage-femme de la maternité, « il y a peu de couples qui s’activent dans la planification familiale ». Tenaces demeurent encore les préjugés liant méthodes contraceptives et infertilité des femmes ou encore limitation des naissances dans le couple.
Pour les méthodes modernes pratiquées par 26 % des femmes, relève l’ANSD, l’injection et l’implant sont les plus utilisés. Les méthodes traditionnelles qui comprennent la continence périodique, l’abstinence prolongée, les gris-gris, les plantes, le retrait, entre autres, ne sont revisitées que par 2 % des femmes.
Au marché Gueule-Tapée de Cambérène, le décor est tout autre malgré la prédominance féminine. Chacun semble préoccupé par l’écoulement de sa marchandise. Dans cet univers de conciliabule, de décibels des mégaphones, se distingue un beau sourire sur un visage au maquillage discret. Sophie Diop, intéressée par nos échanges sur les méthodes contraceptives, s’invite à la conversation. Vêtue d’une tunique de couleur orange de laquelle s’échappent des senteurs parfumées, elle propose de poursuivre la discussion dans un cadre moins bruyant.
D’une frêle voix, elle se souvient de sa belle vie au début des années 2000. Un mariage fêté en grandes pompes suivie par la naissance de son fils dix mois plus tard. En somme, une femme comblée qui opte pour l’allaitement exclusif. Son choix allait cependant soulever quelques appréhensions sept mois plus tard à la suite d’une nouvelle grossesse. Elle n’en revenait pas.
Son mari s’opposait à la contraception. La méthode statistique consistant à calculer la périodicité de ses menstrues pour éviter une grossesse indésirable ne lui a pas réussi. Ce sera le début d’un long cauchemar pour cette employée d’une agence comptable.
Une grossesse difficile qui a exigé un arrêt de travail. Ses contraintes multiples ont d’ailleurs poussé le gynécologue à se déplacer à son domicile. Les douleurs nocturnes forçaient les veillées. Elle n’avait plus le temps de s’occuper de son premier enfant, ni de continuer avec une deuxième nounou, parce qu’elle ne travaillait plus. « Ce fut pénible et insupportable », raconte Mme Diop. Son fils était sous l’œil attendrissant de sa grand-mère.
Sa grossesse se terminera par une césarienne d’urgence : « Un accouchement par voie basse serait risqué. Le bébé était très fatigué. » La mèche s’était consumée. Sophie prend la décision de prendre une méthode contraceptive pour ne plus vivre « une épreuve similaire ».
Cette situation non singulière pousse une grande partie des femmes à épouser les méthodes de la planification familiale à l’insu de leurs maris. Un choix qu’elles justifient par des raisons de santé, de stabilité professionnelle ou encore de bien-être familial.
Prenant le risque d’assurer sa carrière professionnelle, Diarra ne pense pas encore à un deuxième enfant. La tension est restée vive à la maison. Son époux soupçonnant sa prise de pilule fouillait même dans ses affaires. Son couple battait de l’aile.
« Mon mari pleurait quand survenaient mes menstrues. Cela me faisait beaucoup de peine, mais je n’avais pas le choix. Avec mon salaire, je le soutiens et s’occupe bien de notre famille. Ce fut difficile de porter le poids de cette décision unilatérale », confie-t-elle après la naissance de son deuxième enfant. Dans des situations pareilles, l’appui de l’époux est plus que nécessaire pour préserver l’harmonie familiale.
« L’espacement des naissances est autorisé par l’islam »
La planification familiale n’est pas interdite par la religion musulmane. Elle est même conseillée dans le cadre du mariage. Pour Imam Mousse Fall, le président de l’Alliance des religieux et coutumiers en santé, population et développement, « au Sénégal, la culture passe avant la religion. Ce qui crée de la confusion. La planification n’est pas une limitation des naissances dans le couple. L’espacement des naissances constitue un moyen de protéger la santé maternelle ».
Les problèmes liés à la santé et à l’éducation résultent souvent de considérations socioculturelles et des interprétations religieuses peu fondées, explique Iman Fall. Pour qui, « la sensibilisation par rapport à certaines questions de la société est nécessaire parce qu’il est possible de vivre dans une région où les femmes ne meurent plus en donnant la vie ».
L’espacement des naissances est une pratique très ancienne en Afrique. Dans plusieurs communautés, dès qu’une épouse accouchait, elle retournait chez ses parents le temps d’allaiter son enfant avant de rejoindre son domicile conjugal.
Pour une meilleure prise en charge de la santé maternelle et infantile dans la famille, le soutien de l’époux est important.
L’éducation à la sexualité des jeunes commence à la maison. Elle est d’une importance capitale d’autant plus qu’ils sont très tôt exposés à diverses sources d’influence comme les médias, l’internet ou encore les réseaux sociaux. Parler de la sexualité avec les enfants ne doit plus être tabou. La communication est la meilleure des armes pour les informer et les sensibiliser.