Abdoul Aziz Sow est un gargotier au talent reconnu de tous à Hann, un quartier populaire de Dakar où il a vu le jour. Il y jouit d’une réputation d’autant plus établie que sa cuisine est particulièrement appréciée des femmes qui l’ont élevé au rang de « cuisinier des cuisinières ».
Par LD
Abdoul Aziz Sow est la personnification de l’adage selon lequel il n’y a pas de sot métier. Son parcours est une source d’inspiration pour tous ceux qui veulent échapper aux clichés d’une société assignant des tâches aux hommes et aux femmes. « Je sers le petit déjeuner comme les femmes sans gêne, ni complexe », assure le gargotier au premier abord, la voix enrouée et pleine d’autorité, alors que des clients, impatients d’être servis, discutaient de tout et de rien et prenaient des nouvelles les uns des autres.
Des affiches de lutteurs et de stars du ballon rond postées sur les vitres de son établissement font office de rideaux. Des sacs d’oignons et de pommes de terre entassés sur le sol complètent ce décor. Le plaisir des retrouvailles et d’habitudes partagées dans une ambiance familière, toutes ces petites choses qui font des séances de petit-déjeuner dans cette gargote un rendez-vous immanquable. « C’est elle la plus gourmande parmi nous », plaisante ainsi une vieille dame, tenant un chapelet et désignant une autre femme, moins âgée, en train de se délecter de son assiette de spaghettis, sans se soucier de son foulard couvrant à peine sa tête.
La table de Abdoul Aziz est réputée être un régal pour les gourmets, une cote entretenue par ses talents culinaires reconnus par ses principales clientes, les femmes. « Il y a des dames qui font le même travail, tout près d’ici, mais nous préférons venir chez Aziz. Il fait de bons plats », confirme une habituée.
Une réputation qui compte beaucoup pour celui qui était moqué sous le sobriquet de « monsieur pain thon ». Il a même été amené à « corriger » un jeune du quartier qui l’importunait trop souvent. Une rixe dans laquelle l’impertinent aux blagues douteuses a perdu quelques dents. « À la suite de cette bagarre, la famille du jeune homme a porté plainte et j’ai été condamné à un mois d’emprisonnement ferme », raconte Abdoul Aziz, devenu avec le temps imperméable aux railleries.
Assis confortablement sur son tabouret, il laisse mijoter le thon dans la marmite en remuant lentement et en ajoutant une poignée de poivre, de sel, un peu d’huile et de vinaigre. « Je dois bien m’employer pour obtenir un assaisonnement bien équilibré », commente-t-il, avant de retrousser les manches de sa chemise, pour essuyer avec la paume de sa main la sueur qui dégoulinait de son visage sous l’effet de la chaleur.
Pour terminer, le cuisinier s’attaque au reste de sa préparation. Il s’attèle à découper en tranches bien mesurées sa provision de saucisson et de « corned-beef ». Il n’a plus qu’à accueillir ses premiers clients.
Bourlinguer longtemps avant de trouver sa voie
Dans son quartier natal, l’homme de 32 ans est une « source d’inspiration », voire un modèle, au regard de son esprit d’entreprise. Il avait débuté son business par la vente de café Touba, avant de vendre des produits cosmétiques et de s’investir dans le commerce informel.
Riche de son expérience dans les rues de Dakar, il a bravé le désert pour se retrouver au Maroc. La vie de rêve qu’il espérait pour lui et les siens s’est transformée en cauchemar. Aziz se retrouve bloqué au royaume chérifien, piégé dans la galère et les illusions d’Europe et de fortune. « Je vendais des montres dans les espaces publics. C’était vraiment pénible. Je pouvais rester parfois un jour sans rien manger. Là-bas, je vivais le calvaire », témoigne l’ancien pensionnaire du lycée Blaise Diagne, contraint d’arrêter ses études en classe de Première, faute de moyens.
Finalement, après plusieurs années d’errances, le nomade rentre au bercail et poursuit son petit bonhomme de chemin. Abdou Aziz travaille fort pour agrandir son entreprise. Sa devise, ne jamais avoir honte d’exercer un métier, car toutes les voies mènent à la réussite, à condition d’y croire.