Dans la banlieue dakaroise, les hivernages se suivent et se ressemblent. Depuis plus d’une décennie, c’est toujours la psychose et la désolation chez bien des populations. Dans les quartiers périphériques de Pikine, les femmes y vivent des moments difficiles. Empruntons une barque et naviguons dans ces eaux troubles qui ne les mènent pas à bon port…
Par LD
Bassines et seaux à la main, les pagnes bien ajustées à la taille, pieds nus, un groupe de femmes évacue inlassablement les eaux pluviales qui s’étendent à perte de vue. Hardies et infatigables, elles creusent, à l’aide de leurs instruments de fortune, de larges entailles sur le sable mouvant devant leur maison. À mesure qu’elles s’y adonnent, de grosses gouttes de sueurs couvrent leurs visages.
Dénudés et pataugeant dans les eaux noirâtres et immondes, les gamins ne sont pas en reste dans cette tâche presque vaine. Plus l’on tente d’évider l’eau, plus elle demeure imperturbable.
Au quartier Deggo de Guinaw Rails à Pikine, la famille Cissé vit la galère des inondations depuis plus de trois hivernages. Bâtisse lugubre, ceinturée par les eaux pluviales devenues verdâtres, cette maison résume la situation dans les zones inondées de la banlieue dakaroise. Le bâtiment se distingue par des murs pâlis et lézardés, une toiture perforée par endroits, une flopée de mouches et de moustiques. « Les inondations ont complètement détruit la maison et l’essentiel de nos biens. J’ai été obligée de confier une bonne partie de mes affaires à une cousine qui vit à Maristes », explique Aïda Cissé, d’une voix enrouée. Sans lâcher le râteau, elle saisit le seau rempli d’eau pour le verser dans la rue, devenue une véritable mare.
Dans la cour, sur une table, une jeune fille prépare le déjeuner à côté des toilettes endommagées avec ses murs tachés et érodés. « Nous n’avons pas les moyens d’aller ailleurs. Nous ne bénéficions d’aucun soutien matériel, ni financier, pas même une motopompe pour faire sortir l’eau », se désole Aïda.
Au quartier Sotrac, le décor est le même. Les eaux ont englouti les demeures. Quelques rares riverains sont encore sur place, faute de pouvoir trouver un toit ailleurs. Méconnaissable, la maison des Faye n’a pu résister au rythme des dernières pluies.
Assise sur une chaise métallique à côté de ses enfants, Mariama Awa Faye, la trentaine révolue, constate les dégâts de « sa chambre affaissée ». Sa fille de 6 ans ramasse de petits cailloux qu’elle lance dans l’eau. « J’ai pu sauver quelques vêtements avec l’aide des voisins. Et personne n’était à l’intérieur », se console-t-elle.
Les murs de la chambre sont humides et délabrés. Deux rustiques taras, maintenus par des sacs de sable pour protéger de l’eau, y sont installés. « Les murs ne tiennent plus. L’eau grignote le fondement. Je passe la nuit avec les enfants dans la chambre de ma belle-mère. À tout moment, l’irréparable peut se produire », confie Mariama Faye, dépassée par les eaux.
De son côté, Sokhna Fatou Diom s’attriste de cette situation qu’elle vit depuis trois ans. « Il ne me reste plus rien dans cette maison, à part le remords. Les inondations ont tout détruit, tout emporté. J’avais fait un prêt de 1 million 500 000 f à la banque pour l’élevage. J’ai perdu la majeure partie de mon cheptel», explique-t-elle en enroulant son chapelet sur son poignet gauche.
La récurrence des inondations est difficile à vivre, même si, elle reconnaît habiter « une zone inondable, mais cela ne doit être un prétexte pour nous laisser à notre sort. » A peine a-t-elle fini de prononcer ces mots qu’un gros lézard s’introduit dans la pièce par une partie trouée de la toiture. La bête reste collée au mur, remuant la queue telle une manivelle. La vieille tente de l’expulser des lieux avec son éventail, non sans laisser ses pieds patauger dans l’eau. Le lézard bat en retraite par là où il était entré.
Dieu, l’unique recours
En retraite dans sa chambre, où elle se débat, Fatou Ndiaye présente une mine grave. Le chagrin se lit sur son visage émacié et balafré en sa joue gauche. Désespéré, elle regarde sa chambre remplie d’eau, ses chaussures, sacs et quelques précieux papiers, tous mouillés.
L’armoire en bois d’ébène est corrodée, le contreplaqué du toit consumé, la coiffeuse présente un son miroir cassé au milieu, les fauteuils altérés par l’eau, alors que les murs sont fissurés et décolorés. La salle de bain, d’où se dégage une odeur perfide, est indescriptible.
« Les inondations m’ont fait perdre des objets d’une valeur de 1 million FCFA depuis le début de l’hivernage : écran plat, quatre moutons, une trentaine de poulets et quelque vingtaine de pigeons », confie découragée, Fatou Ndiaye.
Dans sa chambre, l’eau lui arrive aux genoux, malgré sa grande taille. Son enfant de 6 ans a failli perdre la vie après de fortes pluies nocturnes. « J’avais porté mon fils sur mes épaules pour le sortir hors de la maison. Mais, je fis un faux-pas brusque et glissa sous le poids du ballot de vêtements que j’avais à la main, il est tombé dans l’eau. N’eut été l’intervention de mon beau-frère, j’aurais ce deuil sur la conscience ».
L’amertume dans les yeux et la voix tremblotante, elle assène : « Nous vivons ce calvaire depuis 2018. Les autorités locales ne sont jamais venues s’enquérir de notre situation. Pour plus d’une soixantaine de familles victimes des inondations, la mairie n’avait mis à notre disposition qu’une seule motopompe. La machine était tombée en panne avant la fin de l’hivernage. Nous ne disposons que de nos ustensiles pour nous libérer des eaux. »
Lasse de combattre la furie des eaux, Mme N’diaye s’en remet à Dieu : « Pourvu que Le Créateur nous sorte de ce drame et de ce quartier infernal. C’est difficile d’évoluer dans cet environnement qui nous prive de toute sensation d’une vie normale. »