Journaliste et cinéaste, Mame Woury Thioubou est aussi bien à l’aise avec la plume qu’avec une caméra. Des outils qui lui permettent d’observer et de décrire son monde, de partager des ressentis. Un exercice qui lui vaut les honneurs de par le monde.
Par AMD
Au moment où le cinéma en salle se meurt au Sénégal, une de ses filles vit et fait vivre le 7ème art. Mame Woury Thioubou est désormais un nom à retenir dans le landerneau cinématographique sénégalais. Cette journaliste connue et reconnue pour sa belle plume, qui orne depuis plus d’une décennie les pages Economie et Culture du journal le Quotidien, est aussi une brillante réalisatrice de films documentaires.
« Les deux métiers sont plutôt complémentaires. Au journal je travaille avec les mots et quand je fais un film, c’est avec des images. » « Je ressentais des émotions que je n’avais pas été capable de rendre par l’écrit », avoue-t-elle. « J’ai senti le besoin de trouver une autre forme d’expression et par un heureux hasard, je suis tombée sur une formation en documentaire de création » à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb).
Après des années de formation dans la capitale du nord, la halpular native de Matam prend son envol artistique. Voilà qu’une étoile est née. Sa nouvelle passion lui vaut des distinctions dès ses débuts. En 2009, alors qu’elle est encore en quête d’un Master de réalisation de Documentaire de création, sa première production intitulée Ébène, s’est révélée meilleur film au Festival International du Film de quartier de Dakar (Fifq 2009). La jeune dame est bien partie pour imprimer son nom dans les annales du Cinéma sénégalais.
Désireuse de porter les combats de la société sénégalaise, Mame Woury s’engage dans la réalisation de son premier moyen métrage Agora Braille qui traite de l’inclusion des non-voyants dans le système scolaire sénégalais. Avec le même engagement, la journaliste réalisatrice enchaine les productions. Dans le monde culturel et ses festivals, Mame Woury Thioubou s’est distinguée autant chez elle qu’à l’étranger. De Gorée au Togo, passant par Madagascar ou la France, ses productions cinématographiques se distinguent toujours parmi les meilleures.
En 2019, la jeune réalisatrice décroche le prix du meilleur long métrage documentaire au Festival Vues d’Afrique de Montréal, grâce à son film Fifiiré en pays Cuballo qui a reçu la mention des jurys au Festival Images et vie (Dakar) et au Festival Urusaro de Kigali. Le même film se distingue encore avec le prix du meilleur documentaire international au Festival écrans noirs de Yaoundé (Cameroun), au Festival du film africain de Louxor (Egypte), à la Mostra de Cinéma Africana à Salvador de Bahia.
Le nombre de distinctions qu’a reçu Fifiire en pays Cuballo témoigne de la qualité du travail, mais également du sens de ce documentaire qui est le récit d’une histoire de vie que la réalisatrice est allée puiser du plus profond de ses origines. « J’appartiens à un peuple de pêcheurs traditionnels de la vallée du fleuve Sénégal. Depuis toujours, les miens ont chassé les crocodiles et les hippopotames du fleuve en usant de formules mystiques. Aujourd’hui, avec les changements qui affectent le fleuve, les crocodiles ont disparu, les miens ne sont que des pêcheurs et il n’y a plus beaucoup de poissons. » Et le plus désolant pour la cinéaste est que « sur les ruines de ces croyances mystiques et des exploits guerriers de nos ancêtres, portés encore par le chant du Pékaan, la vie des habitants de mon quartier s’enlise dans la pauvreté ». Cependant, il y a toujours un espoir « porté par le geste épique des femmes qui pourraient réensemencer le fleuve » dit-elle.
Madame Thioubou se projette-t-elle dans ces réalisations ? Elle confesse : « Au début, mes films parlaient de moi et de ma famille. C’est très souvent par cette porte que l’on rencontre le documentaire. » La preuve, son premier film Face à Face traite de la beauté, des traumatismes de son enfance. Un exutoire pour « surmonter beaucoup de choses. Et en même temps, cela ne m’aide pas moi seule parce qu’il y a toujours une personne qui vit la même situation et qui en regardant le film, y puise la force nécessaire pour aller de l’avant ». « C’est une des parties les plus satisfaisantes du cinéma documentaire. Mettre des mots sur des maux et des émotions et aider les gens à aller mieux » assure-t-elle.
Dans son cinéma, la réalisatrice veut aussi faire voir le monde, sous sa face cachée, telle la réalité de l’émigration clandestine, visualisée dans 5 Etoiles. « On parle souvent des dangers de la traversée du désert et de la Méditerranée. Mais ce dont on parle le moins, c’est de ce qui se passe une fois que les migrants arrivent à destination. Dans ce lieu appelé 5 Etoiles, Maliens, Sénégalais, Guinéens, et autres, se retrouvent pris au piège de leurs rêves. Commence alors un nouveau combat sous le regard du Gouverneur Faidherbe », explique-t-elle.
Cette production est couronnée du Tanit de bronze aux Journées cinématographiques de Carthage (en 2019). Elle a aussi valu à Mame Woury une distinction au Festival Film Femme Afrique de Dakar (2020) et a été retenu, entre autres, à la sélection officielle du Fespaco 2021.
Très sensible aux faits de sa société, Mame Woury Thioubou sensibilise. Ce qui donne une dimension sociale à ses documentaires qui sonnent tel un écho des émotions et des problèmes de son environnement. « On souhaite donner sa vision de la réalité », comme l’a fait le moyen métrage sur les prisons : Rebeuss, Chambre 11 raconte l’histoire de deux jeunes détenus morts électrocutés à la Maison centrale d’arrêt de Rebeuss, en plein centre de Dakar. Ce film qui vient d’être primé au Canada, parle des conditions carcérales au Sénégal. « Mon objectif est avant tout de susciter un débat sur cette thématique, d’amorcer une réflexion qui pourrait conduire à améliorer nos lieux de détention » insiste Mme Thioubou.