Au Sénégal, l’épanouissement sexuel du couple est une affaire de femmes. La maîtrise de ce parcours semé d’érotisme et de pudeur augure d’une vie conjugale réussie.
Par AMD
En milieu wolof, l’initiation à la sexualité commence huit jours après la naissance de la fille. La pratique du massage, comme l’explique le sociologue Gora Mbodj, permet de : « Construire un corps harmonieux, malléable, souple, accueillant et gracieux. Ce corps doit être celui du plaisir à voir, du plaisir dans les rapports sexuels. C’est un corps omnisexuel. La technique elle-même dure plus longtemps que celle du garçon. Elle se fait de haut en bas et de la périphérie vers le centre comme si l’on cherchait à rassembler les masses musculaires au centre. De la tête aux pieds, tous les segments sont massés et étirés pour construire l’ébauche d’une femme idéale ». D’ailleurs, le nouveau-né de sexe féminin n’est jamais couchée sur le dos pour ne pas aplatir ses fesses. Ce massage prépare la fille à disposer des traits caractéristiques de l’idéal corporel féminin.
Au Sénégal, la sexualité est un art « par essence dominé, inventé et continuellement réinventé par les femmes qui produisent essentiellement le discours sur le sexe. Ce discours entre dans des logiques de construction des identités et de confrontation des rapports de genre », ajoute Cheikh Ibrahima Niang qui a soutenu une thèse de Doctorat intitulée : « Anthropologie de la sexualité : philosophie, culture et construction sociale du sexe au Sénégal » à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar en 2013.
L’érotisme au fondement de la sexualité
Plusieurs rituels accompagnent la construction de la sexualité à chaque étape de la vie des femmes. Selon Dr Niang, «L’eau servant au rasage du nouveau-né lors du baptême est placée dans une calebasse dans laquelle, on a mis également du gros mil (bassi symbole sexuel de la femme), des noix de cola (représentant des testicules qui symbolisent l’homme), du sucre (symbole de douceur pour les deux sexes) et du sel -symbole d’excitation sexuelle pour l’homme et la femme. »
Les berceuses destinées à calmer les nourrissons véhiculent également des messages. L’enfant est bercé « avec des chants érotiques afin qu’il prenne conscience plus tard de la manière de vivre sa sexualité. Par exemple, la chanson «Saloum niaari nek la, nietel ba di wanie ba » est une métaphore pour parler du sexe et s’adresse plus à un public averti.
La danse, une des activités ludiques spécifiquement féminines, offre une forte dose d’érotisme. En effet, des danses « où on fait bouger le rein en disant dagin ndat, dagin ndat, ndat say, servent à intérioriser un rythme qui va jouer un rôle important dans la sexualité. Il y a également des jeux mettant en garde contre les grossesses précoces, la perte de l’hymen. Tous ces messages, que les filles comprendront plus tard, ont pour but de les éduquer et de les préparer à la sexualité », poursuit le socio-anthropologue.
Le fait de porter les enfants à califourchon ou sur le dos « participe au développement, à l’accentuation de la marque et taille les fesses du bébé. De même que les cérémonies liées à la circoncision comme le kassack. Une jeune femme accroupit par terre, saisit une calebasse remplie de farine de mil qu’elle remue, tout en faisant tourner la farine, en y ajoutant de temps à autre de l’eau. Pendant, tout le temps que dure la scène, une chanson accompagne ses faits et gestes. Voilà, une préparation à l’érotisme, qui ne débouche pas forcément sur des rapports sexuels, mais sur « la construction des sentiments, des émotions, des sensations à maîtriser ou à développer pour arriver à construire une vie sexuelle épanouie ».