Les sages-femmes accomplissent des missions essentielles auprès des femmes pendant et après leur grossesse en assurant leur suivi. Nonobstant tout ce travail, force est de constater que leur profession est peu valorisée.
Par BAD
En 2017, les chiffres du ministère de la Santé indiquaient que le Sénégal est à une sage-femme pour 2.500 femmes en âge de procréer, loin des normes de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) qui recommande une sage-femme pour 300 femmes en âge de procréer. Ce déficit touche aussi les autres praticiens spécialistes : en 2016, les données de la Banque mondiale établissaient une moyenne de 0,1 médecin pour 1000 habitants tandis que pour le personnel chirurgical spécialisé, les seuls renseignements disponibles remontent à 2011 avec une valeur d’un spécialiste chirurgical pour 100 000 habitants. Ce déficit chronique s’accompagne pour les sage-femmes de difficiles conditions de travail.
Souvent recrutées dans le cadre de programme financé par la coopération internationale, les sage-femmes exerçant dans les zones rurales ne disposent pas suffisamment de ressources matérielles pour effectuer leur travail adéquatement. Une professionnelle de santé rencontrée à l’intérieur du pays confie : « Je n’ai pas le matériel nécessaire pour mener à bien ma mission. Un poste qui n’a pas un partenaire comme une Ong ne peut rien faire. Même pour référer les malades, c’est un problème. Figurez-vous, il y a des maternités sans coin du nouveau-né. »
Sa collègue d’un autre poste de santé renchérit : « Pour faire les stratégies, je suis obligée de monter sur des charrettes et d’aller les effectuer au niveau des cases de santé. Je suis obligée actuellement d’utiliser le téléphone pour ces stratégies avancées. Vous voyez par vous-même, on n’a aucun matériel. »
Dans des postes de santé visités au niveau des départements de Bambey et de Diourbel, les sage-femmes sont obligées d’emprunter des moyens de locomotion peu adaptés pour faire des stratégies avancées parce que souvent l’ambulance est en panne. À l30 kilomètres de Bambey, au poste de santé de Thiaytou, la sage-femme d’État Fatou Diouf lance un cri de cœur aux autorités supérieures du ministère de la Santé et de l’Action sociale. « Le poste de santé polarise 17 villages. Notre difficulté majeure, c’est le manque d’ambulance. Pour évacuer les malades, nous sommes obligés de les amener au centre de santé distant de 30 kilomètres ou recourir aux services des ambulances de Baba Garage ou celle de Gawane. »
En plus des conditions de travail difficiles, elles ne bénéficient pas d’indemnité de logement, laissées à l’appréciation des comités de développement sanitaire ou des collectivités territoriales. Ces instances leur paient des salaires qui ne « dépassent pas 100 000 Fcfa ». Pour Ndèye Thiam « l’État devrait fixer un barème que les Cds, les conseils d’administration des établissements de santé ou les collectivités territoriales devraient payer ».
Les professionnelles de santé rencontrées dans le cadre de notre enquête, qui ont un baccalauréat plus trois années de formation, ne comprennent pas, non plus, pourquoi, elles exercent sous les ordres d’un assistant infirmier. Ce dernier n’a qu’un brevet de fin d’études moyennes (Bfem) ainsi que deux années de formation. De plus, les contractuelles doivent se déplacer jusqu’au ministère de la Santé à Dakar pour recevoir leurs bulletins de salaire.
La surcharge de travail des sage-femmes est peu reconnue. Le volume horaire effectué dépasse largement 8 heures par jour. Au-delà de ce ratio, le travailleur a droit au paiement des heures supplémentaires. Cette disposition est, toutefois, ignorée pour les sage-femmes, surtout celles qui exercent en milieu rural. S. L. confie : « Au niveau de mon poste de santé, je suis la seule sage-femme. Je travaille tous les jours. La nuit, aussi, s’il y a une malade, je dois la consulter. Avec tout ce travail, je ne bénéficie pas du paiement des heures supplémentaires. C’est injuste. »
Au centre hospitalier régional Heinrich Lübke de Diourbel, la surcharge de travail est incompréhensible. « C’est une équipe de deux sage-femmes, composée aussi d’aides infirmières et de matrones qui se relaient. La première équipe travaille de 8h à 17 heures et la seconde de 17 heures à 8 heures. C’est très difficile pour nous. »
Les sage-femmes, bouc émissaire d’un système de santé défaillant
Et pourtant, dans les hôpitaux et les centres de santé, elles sont, pour tout manquement, pointées du doigt. Dans la plupart des structures sanitaires, le service nocturne se fait le plus souvent sans le /la gynécologue de garde. Les sage-femmes sont seules avec les aides-soignantes dans les maternités. Si, un cas se présente, elles appellent le gynécologue de service qui ne se déplace pas toujours. « J’avais reçu une patiente. Lorsque j’ai appelé le gynécologue, il m’a boudé et malheureusement, à cause de cet impair, la malade a eu une rupture utérine et a fini par rendre l’âme. Beaucoup d’impairs médicaux sont notés entre les gynécologues et les sage-femmes », témoigne une praticienne qui officie dans un centre de référence depuis plusieurs années.
De telles pratiques peuvent être bannies avec plus de suivi et grâce à des contrôles effectués par l’administration. En effet, avec quelque 125 gynécologues recensés et actifs, principalement en milieu urbain, le Sénégal offre un plateau défaillant au moment où les femmes en âge de procréation avoisinent 49 % de la population féminine. Dans des régions et zones intérieures comme Tambacounda ou Kédougou, il n’est recensé qu’un gynécologue pour 600 000 habitants.
Malgré ces lourds handicaps et déficits, dans le monde rural, la complicité est forte avec les populations. Le lien qui les unit dépasse leur statut professionnel. Plus qu’une sage-femme ou « soldate » des soins, leur accompagnement est total et ne saurait être altéré. Aussi, Ndèye Thiam rassure-t-elle : « Nous n’avons aucun problème avec les populations. Ce sont les mêmes rapports que nous entretenons que ceux que nous avions bien avant l’événement malheureux de Louga ».