Ces derniers mois, il ne se passe un jour sans accidents sur les routes du pays. Les uns plus mortels que les autres. Dérapages de toutes natures (28,7 % des cas de décès accidentel), piétons renversés (22,6%), collisions (15%), chutes (9,8%), qui plongent les familles dans un drame continu. Le deuil est permanent pour les nombreuses victimes indirectes, principalement les femmes, perdant qui leurs enfants, qui leur époux ou d’autres proches.
Par AMD
C’était un vendredi vers 19 heures. Une maman s’affale devant sa maison. La tête entre les mains, tantôt le menton au creux d’une main. Elle est encore sous le coup de l’émotion après l’accident qui vient d’ôter la vie à une jeune fille, non loin de chez elle. « J’ai tellement eu peur que mes règles m’ont surprise ». Pourtant, elle n’a été informée que bien après le choc mortel. Son mari qui lui en a parlé n’en est pas moins affecté. Témoin de l’accident, il a vécu plusieurs peurs devant le corps recouvert de l’enfant. On venait de lui ramener le maillot de son garçon qui jouait au football sur le terrain jouxtant l’autoroute, lieu du drame. Monsieur a pu recouvrer son esprit quand il lui a été annoncé que la victime était une fillette : « J’avais même oublié que le garçon était sorti avec deux maillots. Je n’osais pas en parler à sa maman ».
Cet énième drame s’est déroulé pas loin de chez une autre maman dont le fils a été victime d’un camion fou. C’était le 25 mai 2011. Un jeune garçon, écouteur sans fil sur la tête, heureux de rentrer après une matinée de cours, braillant avec une camarade sur le chemin de retour. Ils n’y arriveront jamais.
Un faucheur ambulant, dérapant de la chaussée les a rejoints sur le trottoir. Pape Cheikh se retrouvera sous l’une de ses horribles roues. Décédé sur le coup, son amie Ramatoulaye survivra le temps d’arriver à l’hôpital. À la morgue, ils auront pour compagnon, un jeune talibé nommé Bocar.
C’était, il y a plus de dix années. La vie continue avec son lot d’accidents mortels sur la route. De janvier à septembre 2021, ce sont 111 personnes qui ont perdu la vie sur la RN 1. Le bilan de l’année aura dépassé les 644 morts recensées en 2020. Des données qui confirment la lourde tendance des années précédentes de 518 en 2014 à 612 en 2018 selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) qui rapporte quelque 745 décès en 2019.
Le Bureau d’information gouvernementale (Big) confirme : de janvier à septembre 2022, ce sont 14 666 accidents qui ont été recensés dont 519 morts et 23 044 blessés. A peine entamée, 2024 a déjà enregistré une centaine de morts sur les routes du Sénégalais
Le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité routière, lors d’un comité régional de développement à Matam, regrette qu’en 2022 « le nombre de décès lié aux accidents de la route reste toujours préoccupant, en moyenne 700 morts par an. Des statistiques qui ne prennent pas en compte les accidentés hospitalisés qui succombent à leurs blessures ».
Au-delà de ces victimes, plus ou moins connues, l’impossible deuil des mères éprouvées par la perte d’un enfant, d’un époux ou traumatisées par le lot de morts rapportés par les médias.
Chaque semaine, des accidents plus meurtriers, certains spectaculaires, d’autres aussi lâches que celui du jeune garçon de 13 ans fauché sur la route de Cambérène par un chauffard qui a pris la fuite. « A chaque fois que j’entends parler de camion qui a heurté un enfant, cela ravive les douloureux souvenirs de la mort accidentelle de mon neveu. Je revis les images, et j’ai toujours le cœur gros » confesse la tante d’une victime.
Les femmes vivent ces drames routiers sans aucun accompagnement dans une souffrante solitude. Des espoirs brisés, des soutiens anéantis. Partie récupérer les plats vendus pour le déjeuner, la victime de ce vendredi était « la main » de sa maman comme Pape Cheikh Sall, le seul garçon de sa famille. Quid de cette épouse et mère dévouée au chevet d’un mari malade depuis des années qui a péri dans l’accident du camion écrasant un taxi urbain sur la nationale de Kaolack.
La corruption gangrène les routes
Trois jeunes amis sur une moto se sont retrouvés sous un camion à l’entrée de la ville de Kaolack. Ils revenaient de Kaffrine. Les parents des trois victimes, malgré leur affliction profonde liée à la disparition de leurs enfants, pointent la responsabilité des agents de la circulation. Ces derniers font stationner plus d’un camion sur la chaussée occupant parfois la moitié de la route ou alignés de part et d’autre sur certaines axes. Le temps qu’ils négocient avec les chauffeurs.
Un réel problème de la circulation récurrent et observable par tout voyageur sur les routes nationales. Il suffit de faire le trajet d’une région à une autre pour s’en convaincre. « Boy kay samp » est un leitmotiv des gendarmes et autres agents de la circulation adressé aux chauffeurs qui essaient par tous les moyens de se soustraire. Et, les pourparlers, qui peuvent durer, s’engagent.
La route a ses maux comme l’indiscipline des routiers, l’excès de vitesse, la fatigue au volant, le manque de professionnalisme de certains agents ou encore des conducteurs de moto sans code. Autant de facteurs qui accentuent le risque accidentogène. De plus, l’éducation routière ne semble pas être prise en charge de façon adéquate par les autorités.