Rencontré au Centre international de cancérologie de Dakar, après des interventions chirurgicales et avant une réunion, Docteur Abdoul Aziz Kassé répond à nos questions sur les différentes formes de cancer au Sénégal et leur prise en charge. Ce médecin militaire, à plusieurs casquettes, organise, depuis 1989, le dépistage du cancer du col de l’utérus. Aujourd’hui, pour plus d’efficacité, il mise sur la sensibilisation avec son association Prévenir pour Ensemble vaincre le cancer.
Par AMD
Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la lutte contre le cancer ?
Pour savoir ce qui se passe dans la cancérologie, il faut avoir un système d’enregistrement des cancers, c’est-à-dire un registre des cancers. Au Sénégal, ce registre n’est pas fonctionnel. On ne peut qu’estimer les chiffres à partir de sondage ou de ceux des pays voisins qui disposent de registre comme le Mali, la Guinée ou encore la Gambie. Donc, tous les chiffres disponibles sont de Globocan 2020. Environ 11 000 nouveaux cas sont enregistrés et plus de 8000 décès par an recensés.
Le mot cancer était tabou dans notre pays. Tout le monde avait peur, mais on a fini par accepter que c’est une maladie comme une autre et qui peut être curable. Par exemple, 82 % des femmes atteintes du cancer du sein que j’ai soignées n’étaient plus malades pendant douze ans. Seules 18% n’ont pu être sauvées. Elles étaient venues tardivement en consultation, faute de moyens, ou ne suivaient pas correctement le protocole de traitement.
Quels sont les formes de cancers les plus récurrentes ?
Quatre types de cancer posent problème au Sénégal. Chez les hommes, nous relevons le cancer du foie majoritairement lié aux infections des virus des hépatites se transmettant par le sang et le cancer de la prostate survenant après 40 ans. Ces cancers de l’homme sont, pourtant, évitables avec la vaccination contre l’hépatite B de tous les nouveaux nés, le dépistage précoce et l’adoption d’un mode de vie sain.
Chez les femmes, le cancer du col de l’utérus, lié à des infections par les papillomavirus humains (HPV), est plus répandu. La contamination s’effectue essentiellement lors du premier rapport sexuel non protégé. Les femmes infectées par les papillomavirus peuvent vivre avec le ou les virus pendant 8 ou 25 ans sans problème. Seule une faible proportion de femmes atteintes développera des lésions précancéreuses. Des lésions qui peuvent évoluer, pendant vingt-cinq ans, sans donner un cancer. D’où l’importance de la vaccination contre les HPV et du dépistage permettant de détecter ces lésions précancéreuses et de les traiter avant qu’elles ne se transforment en cancer.
Le cancer du sein est également devenu un enjeu de santé publique. Chaque année, plus de 3000 nouveaux cas sont enregistrés et il n’y a pas de programme national de dépistage.
Mais, le vaccin administré dans les écoles fait l’objet de polémique …
Le vaccin à l’école est efficace et assure une protection de 9 à 47 ans. Plus de 4 millions 500 mille femmes ont été vaccinées dans le monde et n’ont aucune complication. Avec l’appui de la Fondation Bill et Melinda Gates, le vaccin est disponible au Sénégal. Mais, une mauvaise communication du ministère de la Santé et des croyances non fondées sur la diminution de la fécondité et de la sexualité ont rendu les femmes méfiantes. Pourtant, j’avais vacciné 333 filles du lycée Kennedy qui sont devenues des mères de famille sans problème. Aujourd’hui des doses de vaccins sont en train de pourrir dans les postes et centres de santé. C’est terrible !
Alors qu’est-ce qui est fait ?
Chaque mois d’octobre, la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca) offre des dépistages. À qui ? 2000, 3000, 5000, voire 10000 femmes. Alors que 3 millions 500 cents mille femmes ont besoin d’être dépistées de tous les cancers. Si vous n’en dépistez que quelques milliers, le problème reste entier et la mortalité ne diminuera pas.
Quelle est la solution pour diminuer la mortalité ?
Il faut un taux de participation suffisamment élevé et la mise en place d’un programme national de lutte contre le cancer. Un programme écrit, validé, mais surtout financé. Sans un financement, rien ne se passera, même avec de grandes idées, de jolis projets et programmes bien ficelés. Malheureusement, c’est la situation.
On a l’impression que ce sont les femmes qui souffrent le plus du cancer ?
Non, pas du tout. Les cancers du col de l’utérus et du sein qui sont les plus médiatisés, touchent les femmes. Il y a même des cancers chez les enfants encore plus problématiques qui sont invisibles parce que le programme pour le cancer des enfants n’a pas de financement.
Qu’en est-il des jeunes filles qui n’ont pas d’activité sexuelle ?
Les jeunes filles peuvent développer un cancer du sein. La plus jeune patiente que j’ai eue avait 13 ans. Donc, il existe des cancers d’adolescentes et de pré-adolescentes…
Mais pas sous la forme du cancer du col de l’utérus…
Le cancer du col de l’utérus ne survient que chez des femmes qui ont eu des rapports sexuels. La pilule contraceptive, les serviettes hygiéniques de mauvaise qualité ou encore le port vestimentaire trop serré ne sont pas des facteurs à risque. Ce sont des mythes.
Est-ce vrai que l’allaitement est un facteur préventif du cancer du sein ?
Cette idée est retenue parce qu’elle est bonne pour la mère et pour l’enfant. En effet, l’allaitement crée un lien affectif et diminue les problèmes de dénutrition et de malnutrition.
Quel est l’état de la recherche sur le cancer au Sénégal ?
Zéro recherche ! Le monsieur qui s’assoit pour compter les cancers et dire qu’il fait de la recherche, c’est de l’épidémiologie descriptive. Il n’y a pas grand-chose à en tirer. C’est bon pour l’allocation des ressources, pour générer des hypothèses d’études, mais ce n’est pas de la recherche.
Nous ne faisons que compter des cas et réagir ponctuellement. Par exemple, lorsqu’un taux élevé de cancer de la vessie est signalé dans le nord, des urologues y sont envoyés…Quand des cas de cancer du col de l’utérus sont relevés dans la banlieue, une intervention y est faite pour réduire la mortalité et la fréquence. C’est tout.
Déjà, nous n’arrivons pas à soigner nos malades et vous parlez de recherche !
Le seul qui a compris qu’il faut forcément un changement de mode de vie pour réduire les risques de cancers.
Et à vous les dames comprenaient que l’un des facteurs de risque des cancers est le surpoids et l’obésité.
Donc le vrai combat dans la prévention des cancers c’est l’éducation des populations sur la relation directe entre excès de poids et cancers.
On peut dépister 3000 femmes chaque année, mais si après on ne fait pas de l’éducation sur le facteur de risque POIDS pour que les dames dépistées et ayant des mammographies correctes ou des frottis sans lésions puissent adopter des changements alimentaires et une meilleure gestion des émotions désagréables, la probabilité de faire un cancer au bout de quelques mois ou années reste élevée.