Au Sénégal, l’infertilité n’est pas une exclusivité féminine. Elle peut être d’origine masculine. Mais, les pesanteurs sociale, religieuse, politique et institutionnelle mettent sous silence ce fléau. Voyage au cœur d’un univers fertile en anecdotes et bouleversements.
Par LD
À quelques encablures de Bountou Pikine se dresse un établissement hospitalier rattaché à la Direction des affaires sanitaires de l’État du Sénégal. Difficile d’y pénétrer, après les fortes pluies d’août qui ont transformé la devanture en un marigot. Patients, accompagnants et visiteurs se rabattent sur le portail situé derrière l’édifice.
Au service gynécologie, Amadou Dagnokho y est le seul spécialiste. Dans son bureau qui donne sur un long couloir, on l’y retrouve, en face d’un ordinateur fixe. Ses patients ne sont pas toujours de sexe féminin. Dr. Dagnokho est aussi très courtisé par des hommes. « Pour des problèmes de procréation, je reçois plus d’hommes ». Leur souhait : venir à bout de l’infertilité qui survient dans un couple lorsqu’une absence de grossesse est constatée malgré des rapports sexuels non protégés pendant un an au moins. « Au Sénégal, quand on parle d’infécondité, tous les regards se tournent vers les femmes. (Or), cette pathologie touche aujourd’hui plus les hommes que les femmes », souligne le gynécologue à la barbe bien entretenue. « La tendance a très nettement baissé de nos jours », ajoute l’homme au front plissé expliquant que l’infertilité masculine est inhérente à plusieurs facteurs dont l’éjaculation précoce.
« La plupart des patients que je traite sont déjà exposés, durant leur jeunesse, à une éjaculation précoce », poursuit Dr Dagnokho en ajustant ses lunettes « à force d’éjaculer prématurément et répétitivement, l’on finit par affaiblir sa virilité, pire encore, par la perdre ». Ils sont nombreux à trainer « une éjaculation précoce chronique source de faiblesse sexuelle qui rend un homme stérile ». Le gynécologue de préciser que « virilité qui peut s’apparenter à un état physique (ne) signifie (pas) fertilité qui est un état physiologique. D’aucuns pensent qu’un homme viril est fertile (mais) aucune corrélation scientifique n’a été établie », martèle Dr Dagnokho, faisant passer ses mains sur ses joues bouffies.
Ce décor moderne ne contraste pas avec l’univers des tradipraticiens. Il reflète les mêmes tendances qui y sont parfois plus accentuées. Un petit plongeon pour vérifier nos questionnements.
Fann Hock, offre un autre décor. Le quartier, qui résiste encore aux eaux de pluie, abrite le cabinet de Kaoussou Sambou, un tradipraticien spécialiste des questions de fertilité. Au rez-de-chaussée d’un immeuble abritant des ménages, un groupe d’individus patiente. Au bout d’une quinzaine de minutes, Kaoussou revient de la prière du vendredi. De petite taille, il rayonne dans un grand boubou « getzner » à trois pièces. Ses samaras gris lui couvrent les pieds jusqu’aux talons.
Le praticien reçoit dans un bureau exigu, aux murs scotchés de portraits de marabouts et de célébrités sénégalaises. Une autre salle fait découvrir la base de ses remèdes constituées d’une variété de feuilles et de racines médicinales ainsi que des sacs remplis de poudres médicamenteuses dont les odeurs titillent les narines du visiteur.
Libéré de son caftan et de son gros bonnet, chapelet posé sur sa table de chevet, le vieux à la tête chauve livre quelques confidences pour valider les tendances actuelles. Ces deux dernières décennies, le nombre d’hommes, âgés entre 40 et 50 ans, qui le consultent après de longues années de mariage sans enfants « triple bien celui des femmes ». Le visage trempé de sueur par la chaleur hivernale, Kaoussou Sambou relate : « De par mon expérience, il existe au Sénégal plus d’hommes infertiles que de femmes. » Une des causes étant « l’impuissance sexuelle dont souffre la moitié des hommes diagnostiqués. »
Ignorant son téléphone qui ne cesse de sonner, il informe qu’il arrive parfois que des trentenaires le consultent. « Des jeunes, à la fleur de l’âge, fraichement mariés, toquent également à notre porte. » Se lissant la barbe, il déplore le fait qu’en cas de difficulté de procréer dans le couple, les femmes sont, en premier, pointées du doigt et obligées de divorcer. La plupart d’entre elles, une fois remariées, connaissant les joies de la maternité « là où les hommes d’avec qui elles ont divorcé, même remariés pendant longtemps, peinent toujours à avoir un enfant », souligne le spécialiste en « reproduction » en reprenant ses consultations. Il était un peu plus de 15h.
L’infertilité masculine, une « honte sociale »
A Grand Yoff, on vit aussi avec les inondations. Au centre Talibou Dabo, nous essayons de trouver quelques explications sur l’omerta lié à l’infertilité des hommes, avec le sociologue Djiby Diakhaté, en marge d’une conférence. Habillé d’une chemise blanche aux courtes manches, braillée sous un pantalon gris, il explique : « L’infertilité masculine est un phénomène social dont il est moins aisé d’aborder sur la place publique contrairement à la stérilité féminine. Un homme infertile est mal perçu par la société. C’est un problème avec lequel un homme aura du mal à vivre. » Un tabou qui s’explique par les stratifications sociales et « les traditions qui protègent et anoblissent démesurément les hommes. »
L’infertilité et la stérilité masculines sont perçues comme une « honte sociale et les hommes inféconds vivent difficilement cette situation au quotidien. C’est un drame qui les rabaisse aux yeux de la société souvent moqueuse du sort qui les accable », se désole l’universitaire selon qui, « la situation d’une femme sans enfant est plus compréhensible, voire plus acceptable par la société ».
L’enfant, un enjeu social pour l’homme
Doctorante en Sociologie, Aminata Sangol, affirme, au bout du fil, que les hommes sans progéniture vivent une « psychose dramatique » qui les condamne « à se recroqueviller sur eux-mêmes » surtout quand, « après de longues années de mariage, ils n’ont plus aucun signe d’espoir de sortir de cette impasse ».
Il s’agit là, d’un « mal-être qui les martyrise psychologiquement ». Ainsi, « le rêve de devenir père se transforme en traumatisme pour bien d’hommes sous les liens du mariage ». Pour autant, « l’opinion passera toujours sous silence l’infertilité masculine » du fait d’une censure sociale autour de la sexualité des hommes dans une société misogyne. « Se pose l’enjeu social pour un homme d’avoir des enfants qui perpétueront son nom et son leg. »
Des prières, pour conjurer le mauvais sort
A la grande mosquée de Guinaw Rails Sud de Pikine, l’imam ratib Fallou semble rapporter le problème à Dieu. « Le vœu de tout couple est d’arriver à avoir des enfants, ne serait-ce qu’un. Cela est aussi valable pour l’homme que pour la femme ». Redressant les manches de son grand boubou, un long châle trônant sur la tête, il précise que cela ne doit toutefois pas « être une obsession ni chez la femme, ni chez l’homme ». Se référant au Coran, il argumente : « Aucune femme ne peut s’arroger le droit de devenir génitrice sans que Dieu le veuille ; de la même façon qu’aucun homme ne peut être géniteur si cela n’émane pas du Tout-Puissant. »
L’iman recommande la prière qui est « un moyen infaillible pour résoudre tout problème auquel le croyant est confronté. Le Prophète (Paix et Salut sur Lui) nous a enseigné de nombreuses formules qui permettent de pouvoir procréer. L’infertilité n’est pas une fatalité. Elle n’est pas implacable », conclut-il.
D’ailleurs, de nombreuses voix religieuses appellent les hommes à emprunter les voies de la médecine moderne et de ne pas culpabiliser les femmes. Tout couple doit en cas de dysfonctionnement consulter les spécialistes désignés pour trouver ensemble les solutions requises.
L’Église appelle à plus de compassion
A une vingtaine de kilomètres de la mosquée, enjambant la passerelle de la gare du TER de Guinaw Rail, nous débouchons, après avoir contourné coins et recoins, sur l’église Notre-Dame du Cap-Vert. En face, le domicile de Paul Gomis un quarantenaire qui vient d’entrer dans la prétrie.
Dans sa modeste chambre, équipée d’un petit lit, d’une table contenant des Bibles, d’une armoire, d’un frigo et d’un poste téléviseur, il a l’air gêné en déclarant que « parler de la sexualité est une tâche délicate. L’Église est moins encline à aborder ces questions que cela concerne la femme ou l’homme ».
Vêtue d’une tunique blanche, la gestuelle des mains d’une extrême mollesse, la voix indolente, le néo-prêtre confie, « l’Église ne méprise pas les hommes confrontés à l’infertilité. Elle se solidarise avec eux en leur témoignant compréhension et compassion ».
Dans ses prêches, elle appelle « le fidèle chrétien à s’abstenir de tout propos malveillant vis-à-vis de son prochain et déconseille formellement à la communauté de s’aventurer dans des débats qui peuvent heurter la sensibilité de bien d’individus et les atteindre mentalement », révèle le guide ecclésiastique qui exhorte les hommes touchés par l’infertilité à « prier et à implorer le Seigneur. »