Par MF
Chaque jour, Badiène Fatou se lève à l’aube. Son rituel reste inoxydable : prendre son bain, faire ses ablutions et porter sa tunique bleue, rapportée de la Mecque, fortement parfumée au gowé de Kayes. Elle affectionne particulièrement ce moment, sa première communion de la journée avec le Bon Dieu.
Chaque jour, Badiène Fatou, prie, égrenne son chapelet, fait ses invocations et médite. Il faut dire qu’elle a du temps après avoir a sillonné pendant 37 ans le pays pour « planter le drapeau du savoir.» Elle en a vu de toutes les couleurs.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Badiène Fatou n’a plus le goût de raser la tête des nouveaux-nés, le jour de leur baptême. Elle a organisé tellement de Ngenté qu’elle remplirait une bibliothèque de prénoms. Dans le quartier, on l’appelle « mère organisée ».
Personne ne comprend cette décision de Badiène Fatou de baisser les bras. Elle est connue pour ses prises de position et ses combats. Ces faits d’arme ont fait le tour de trois générations. Elle s’est opposée à tous les hommes de sa famille pour aller et rester à l’école et à ceux de la communauté pour épouser l’homme de son choix.
Badiène Fatou ne comprend pas pourquoi, en parcourant les rues de Dakar, en regardant les frontaux d’édifices publics et administratifs, on ne baptise que des hommes !
Stade, lycée, Abdoulaye Wade,
Stade Pape Bouba Diop,
Sphère ministérielle Ousmane Tanor Dieng,
Avenue, aéroport, stade, lycée, Léopold Sédar Senghor.
Aéroport, avenue, lycée, Blaise Diagne,
Avenue, lycée, Lamine Guèye.
Centre de Conférences Abdou Diouf,
Universités Cheikh Anta Diop, Amadou Mactar Mbow, Assane Seck, Iba Der Thiam … Future université de Matam, Souleymane Niang,
Bulding administratif Mamadou Dia,
Hôpitaux Abass Ndao, Issa Pouye, Amath Dansokho, Amadou Tidiane Ba …
Pourtant les Sénégalaises constituent 50, 2% de la population (ANSD 2020), mais absentes dans tout ce qui fait notre mémoire collective. La nomination des lieux publics est hautement symbolique. Elle immortalise les hommes et enterre les femmes !
Le baptême est une reconnaissance, un honneur ! Donc, ne baptiser que des hommes, invisibilise les femmes dans les espaces communs de notre histoire. Cette volonté politique d’effacer leurs traces, de les exclure de la reconnaissance nationale dépasse Badiène Fatou.
C’est la raison pour laquelle, Badiène Fatou ne veut même plus assister au Ngenté. Elle consacre son temps à trouver une réponse à la question qu’elle se pose depuis 62 ans : où sont les femmes ?